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Catalogue d’exposition d’art contemporain – Musée départemental de Gap

Organiser une exposition d’art contemporain dans un musée départemental – fût-il celui de Gap – constitue un véritable défi. Les musées sont des espaces de sauvegarde et d’exposition d’un patrimoine, a fortiori quand ils revendiquent leur parenté avec ces lointains cousins qu’ont été les cabinets de curiosités. Espace public d’exhibition, le musée semble voué à oblitérer l’invention et à privilégier les filiations. Dès lors, entreprendre une exposition d’art contemporain dans un tel lieu ne peut que produire un télescopage entre la fascination pour les œuvres du passé et l’ouverture novatrice aux possibles, entre culture patrimoniale et créativité. La conception d’une telle exposition par Madame Verlinden – conservateur du Musée départemental de Gap – témoigne d’une authentique audace : créer un événement disruptif dans un lieu plutôt propice à garantir l’assurance tranquille de la durée. La différence fondamentale entre la conservateur de musée et le simple collectionneur apparaît ici saillante : le collectionneur fétichise les objets et cultive le passéisme, alors qu’avec le conservateur de musée – surtout quand il est en même temps commissaire d’une exposition -, le passé n’est pas momifié, mais porté à la présence. Parce qu’il est toujours prêt à modifier les critères de ses expositions, le conservateur inaugure sans cesse la possibilité de nouvelles interprétations. En organisant des correspondances entre les oeuvres, il les délivre chacune de leur passé propre et les rend déjà contemporaines les unes aux autres. Mais, en ouvrant ici toutes grandes les portes à l’art contemporain lui-même, le conservateur-commissaire d’exposition fait preuve d’une véritable hardiesse : il se fait le représentant d’une mémoire du futur, le gardien des promesses de l’art. Décidément, un musée n’est pas un mausolée. Continuer la lecture de Catalogue d’exposition d’art contemporain – Musée départemental de Gap

De la post-politique à la pré-politique

La critique de la post-politique est désormais un passage obligé pour ceux qui, dans la « gauche radicale », veulent en finir avec la « démocratie libérale ». Dans L’illusion du consensus, Chantal Mouffe a prétendu fournir un argumentaire de fond pour étayer cette dénonciation du « Zeitgeist post-politique » : en l’occurrence, la recherche du consensus en démocratie, au-delà du clivage entre droite et gauche. Or, cette recherche du consensus est l’objet de critiques convergentes de la part de l’extrême droite… Paradoxalement, les références théoriques invoquées par C. Mouffe entretiennent cette tendance au confusionnisme idéologique. Bien plus, en stigmatisant la post-politique, ses analyses justifient plutôt une régression dans la pré-politique.

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Repenser la métaphysique : renouveau théorique et apport pragmatique

Dans son ouvrage Qu’est-ce que la métaphysique ? , Alain Cambier réinvestit une notion souvent déconsidérée, aussi bien par le positivisme scientiste que par les partisans du relativisme. Toutefois, parce que l’homme demeure spécifiquement un être en quête de sens, la métaphysique s’avère indispensable autant à la théorie qu’à l’action, puisqu’en assurant le « dépli ontologique du sens » elle vise à fonder notre univers de significations et contribue à éclairer la conduite humaine.

Par Charles CAPET, Professeur de philosophie.

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Où est le peuple ?

Après le Brexit, l’élection de Donald Trump, la démission de Mateo Renzi, la montée des extrémismes nationalistes, la période historique dans laquelle nous vivons est volontiers présentée comme « la revanche des peuples ». Pourtant, il s’agit plutôt du triomphe de la démagogie « populiste » 1, de la flatterie des impulsions les plus inavouables et des préjugés les plus étroits. Il n’y a peut-être pas de notion plus confuse et plus galvaudée que celle de « peuple ». À tel point que l’on peut se demander si cette notion renvoie à une quelconque réalité référentielle.

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Au nom de la sécurité

Face à la montée des menaces terroristes, l’exigence de sécurité est devenue aujourd’hui obsessive. Or, la peur est ambivalente : elle peut être le commencement de la sagesse, mais aussi mauvaise conseillère, surtout quand elle tourne à la paranoïa. Nos sociétés contemporaines offrent incontestablement des conditions de sécurité et de sûreté bien supérieures à celles qui caractérisaient les sociétés antérieures. Pourtant, un éthos défensif de plus en plus exigeant s’exprime au cœur même des démocraties. L’obsession de la sécurité fait courir elle-même de graves menaces, surtout lorsqu’elle est instrumentalisée par les pouvoirs politiques.

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Réfugiés sans refuge

Un mot a pris une telle place dans l’actualité qu’en lui-même il fait déjà figure d’invasion : « Migrants ». Un mot faussement neutre constitué d’un participe présent, comme s’il s’agissait d’un phénomène impersonnel cyclique : déplacement cinématique d’une multitude sur une carte ou flux indéterminé qui pourrait s’appliquer aussi bien aux animaux qu’aux humains. Mais surtout un mot qui nomme mal. Or, « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde ». Dans un article consacré aux réfugiés, Olivier Rey  avait opposé la figure des « migrants » à celle des « manants » : « Que la détresse des migrants ne serve pas à faire honte aux manants de leur propre désarroi ». Il n’en reste pas moins que l’errance des migrants a été le révélateur de nos propres erreurs. Continuer la lecture de Réfugiés sans refuge

Démocratie et raison d’Etat

La question de la compatibilité de la raison d’État avec la démocratie a souvent été posée et Charles Pasqua avait même soutenu que « la démocratie s’arrête là où commence la raison d’État ». On pourrait croire qu’avec l’affaiblissement du rôle joué par les institutions politiques le recours à la raison d’État puisse apparaître désormais obsolète. Mais, le repli apparent des États sur leurs fonctions régaliennes tend à faire revenir au premier plan cette question. Bien plus, le contexte de crise géopolitique et économique, auquel s’ajoutent les attaques terroristes, contribue à justifier de nouveau son invocation. Cependant, même lorsqu’elle se réclame des meilleures intentions, il serait naïf de penser que la raison d’État ne peut constituer un risque pour la démocratie.

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La collusion des négationnistes

En 1978, Robert Faurrisson était apparu comme le théoricien du négationnisme, en prétendant que les chambres à gaz n’avaient pas existé. Or, depuis le développement d’internet, nous assistons à une véritable invasion de thèses négationnistes, au point de transformer les réseaux sociaux en « poubelle de l’information ». Lors des attentats terroristes commis contre Charlie hebdo, ces esprits pernicieux ont redoublé d’ardeur, allant jusqu’à nier les crimes commis, pour n’y voir, par exemple, qu’une manipulation de services secrets ! Autant d’aveuglement peut susciter le mépris, mais cette propagande est si délétère qu’il faut en démonter les mécanismes et en mettre au jour les ressorts. Continuer la lecture de La collusion des négationnistes

Le principe démocratie à l’épreuve

Lors d’un récent débat entre Alain Badiou et Marcel Gauchet , la question de la démocratie s’est imposée de manière incontournable. Les deux protagonistes se sont trouvés d’accord pour constater la crise aiguë qu’elle traverse aujourd’hui. Faut-il donc désespérer de la démocratie et la considérer comme une mystification politique spécifiquement entretenue par le capitalisme ou, au contraire, la tenir pour le requisit fondamental de l’action politique? Face à l’épreuve du terrorisme, le 11 janvier 2015 est apparu comme un ressourcement. Il a permis de redécouvrir le principe même qui sous-tend toute démocratie : la puissance d’un peuple se manifestant à lui-même, au nom de valeurs universelles. Continuer la lecture de Le principe démocratie à l’épreuve