Archives de catégorie : Revues

Réfugiés sans refuge

Un mot a pris une telle place dans l’actualité qu’en lui-même il fait déjà figure d’invasion : « Migrants ». Un mot faussement neutre constitué d’un participe présent, comme s’il s’agissait d’un phénomène impersonnel cyclique : déplacement cinématique d’une multitude sur une carte ou flux indéterminé qui pourrait s’appliquer aussi bien aux animaux qu’aux humains. Mais surtout un mot qui nomme mal. Or, « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde ». Dans un article consacré aux réfugiés, Olivier Rey  avait opposé la figure des « migrants » à celle des « manants » : « Que la détresse des migrants ne serve pas à faire honte aux manants de leur propre désarroi ». Il n’en reste pas moins que l’errance des migrants a été le révélateur de nos propres erreurs. Continuer la lecture de Réfugiés sans refuge

La collusion des négationnistes

En 1978, Robert Faurrisson était apparu comme le théoricien du négationnisme, en prétendant que les chambres à gaz n’avaient pas existé. Or, depuis le développement d’internet, nous assistons à une véritable invasion de thèses négationnistes, au point de transformer les réseaux sociaux en « poubelle de l’information ». Lors des attentats terroristes commis contre Charlie hebdo, ces esprits pernicieux ont redoublé d’ardeur, allant jusqu’à nier les crimes commis, pour n’y voir, par exemple, qu’une manipulation de services secrets ! Autant d’aveuglement peut susciter le mépris, mais cette propagande est si délétère qu’il faut en démonter les mécanismes et en mettre au jour les ressorts. Continuer la lecture de La collusion des négationnistes

Le principe démocratie à l’épreuve

Lors d’un récent débat entre Alain Badiou et Marcel Gauchet , la question de la démocratie s’est imposée de manière incontournable. Les deux protagonistes se sont trouvés d’accord pour constater la crise aiguë qu’elle traverse aujourd’hui. Faut-il donc désespérer de la démocratie et la considérer comme une mystification politique spécifiquement entretenue par le capitalisme ou, au contraire, la tenir pour le requisit fondamental de l’action politique? Face à l’épreuve du terrorisme, le 11 janvier 2015 est apparu comme un ressourcement. Il a permis de redécouvrir le principe même qui sous-tend toute démocratie : la puissance d’un peuple se manifestant à lui-même, au nom de valeurs universelles. Continuer la lecture de Le principe démocratie à l’épreuve

L’obscurantisme est de retour…

            On a souvent fait d’André Malraux le prophète d’un retour de Dieu au XXIème siècle. Pourtant, celui-ci s’en était défendu dans l’hebdomadaire Le Point du 10 novembre 1975 : « On m’a fait dire que le XXIème siècle sera religieux. Je n’ai jamais dit cela, car je n’en sais rien. Ce que je dis est plus incertain. Je n’exclus pas la possibilité d’un événement spirituel à l’échelle planétaire ». En fait de spiritualisme, nous sommes plutôt confrontés de toutes parts à une montée de l’obscurantisme par le biais de la religion, mais aussi du nationalisme, sur fond d’une démission générale vis-à-vis de l’exigence rationaliste.

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Être en dette

    Quel sens accorder à notre être en dette ? En France, la dette publique s’élève désormais à près de 2 000 milliards d’euros. Depuis la crise de 2008, elle a augmenté de presque trente points et s’établit aujourd’hui à 95 % du PIB. Cette dette publique correspond à une charge de près de 75 000 euros par personne ayant un emploi. Dans le budget de l’État – en déficit –, la charge de remboursement des intérêts apparaît comme le premier poste de dépenses, devant l’Éducation nationale. Ainsi, la France semble bien prise au piège de la dette, au point de nourrir les discours les plus « déclinistes »… Mais la dette se réduit-elle à un problème strictement économique ? Sa gestion ne relève-t-elle pas elle-même d’un déficit profond de sens ? S’endetter n’a-t-il pas toujours été nécessaire pour se projeter aussi dans l’avenir ? Continuer la lecture de Être en dette

Enjeux éthiques et politiques de l’évaluation de la recherche

« Aujourd’hui, je n’obtiendrais pas un poste universitaire. C’est simple : je ne pense pas que je serais considéré comme assez productif » : en faisant cette déclaration dans une interview au Guardian – le 6 décembre dernier – le prix Nobel de physique 2013, Peter Higgs, manifestait son scepticisme vis-à-vis des prétentions actuelles de l’évaluation de la recherche. Il faut dire qu’il lui avait fallu un quart de siècle pour faire admettre son hypothèse prédictive sur l’existence dans certaines circonstances d’une particule de masse nulle : le fameux boson baptisé aujourd’hui « de Higgs ». Continuer la lecture de Enjeux éthiques et politiques de l’évaluation de la recherche

L’impouvoir politique

Sur les scènes internationale et nationale, nous sommes saisis par la confrontation de la politique à l’impuissance. Que ce soit à propos de l’Égypte ou de la Syrie, les États-Unis sont apparus d’une faiblesse inattendue. Quant au rôle politique de l’Union européenne, il brille par son absence. Concernant la politique intérieure, la gestion politique de la crise économique tend à se réduire à la déclinaison des normes fixées par la Commission européenne, avec quelques ajustements à la marge. En France, Marseille est devenue le miroir grossissant de l’impuissance des pouvoirs publics, tant pour le problème du chômage que pour ceux de l’exclusion et de l’insécurité. À l’inverse, la montée en puissance d’autres types de suprématies accentue cette crise du politique.  Continuer la lecture de L’impouvoir politique

Le sens des transformations sociétales

Le 23 avril 2013, l’Assemblée nationale a voté la loi autorisant « le mariage pour tous » : la France est ainsi devenue le 14ème pays au monde à ouvrir le mariage aux couples homosexuels et le 8ème en Europe. Mais c’est aussi en France que l’opposition à la reconnaissance de ce droit a mobilisé de manière disproportionnée et ahurissante les forces les plus virulemment conservatrices, comme si les transformations sociétales ne pouvaient encore être prises en compte dans ce pays. L’ironie de cette histoire est qu’elle révélait la confusion entretenue par les opposants entre tradition et institution, au point de mélanger religion et institutionnalisation civile du mariage. C’est pourtant celle-ci qui, par sa forme contractuelle désacralisée, permet d’unir sans préjugés deux personnes devant la loi, de s’en libérer s’il le faut par le divorce, et interdit la polygamie promue, en revanche, par certaines religions.  Continuer la lecture de Le sens des transformations sociétales

La massification de la culture

En 2004, Lille devenait capitale européenne de la culture. Deux ans plus tard, la première édition thématique de Lille 3000 – Bombaysers de Lille – a constitué un nouveau moment festif, relayé par Europe XXL en 2009. Le 6 octobre dernier, la fête inaugurale de Fantastic a réuni des milliers de personnes dans les rues pour saluer les prouesses de  « plasticiens volants ». Des expositions très pointues et exigeantes – comme au Tri Postal – ont permis d’accéder aux œuvres « de grands noms et de jeunes révélations de la création contemporaine ». Presqu’au même moment, le 4 décembre dernier à Lens, le Louvre II ouvrait ses portes. Devant cet afflux d’offre, le risque est alors d’entretenir la confusion des genres : entre culture d’avant-garde et culture patrimoniale, entre fête – foraine avec « train fantôme » ou « grande parade » populaire – et culture. Mais, plus globalement, il s’agit de ne pas confondre ici démocratisation et massification. Continuer la lecture de La massification de la culture

Repenser la notion de civilisation : un enjeu scientifique et politique

Article de Charles Capet à propos de mon livre Qu’est-ce qu’une civilisation ?  :

Dans Qu’est-ce qu’une civilisation ?, Alain Cambier entreprend un parcours en quatre chapitres des entrelacs historiques et conceptuels qui ont forgé la notion de civilisation. L’auteur interroge les conditions de l’être civilisé, les relations entre civilisation et progrès, la question de la pluralité des civilisations, pour conclure sur l’idée que la civilisation repose sur une « culture syncrétique » dans laquelle l’acculturation n’est pas le résultat de la coutume entendue comme imprégnation passive dans le sujet de règles écrites et d’usages non écrits, mais plutôt le fruit d’un procès réflexif et créatif qui prend la forme d’un principium individuationis causant autant la personnalité de l’homme civilisé que, de proche en proche, celle de la civilisation de laquelle celui-ci participe en même temps qu’il la vivifie.  Continuer la lecture de Repenser la notion de civilisation : un enjeu scientifique et politique