Dans son dernier rapport intitulé « Defiance in the face of autocratization », l’institut V-Dem de l’Université suédoise de Göteborg – dirigé par Staffan Lindberg et Anna Lührmann – soulignait en 2022 que tous les gains démocratiques acquis dans le monde depuis la chute du mur de Berlin en 1989 étaient désormais effacés : « L’expansion massive des droits et des libertés démocratiques qui avait suivi la fin de la guerre froide a été perdue ». Bien plus, l’essentiel de ce reflux démocratique s’est produit au cours de la dernière décennie écoulée. Nous vivons actuellement une vague d’« autocratisation » qui menace toutes les démocraties. Selon cet observa-toire, 70 % de la population mondiale vit aujourd’hui dans une autocratie. L’autocratie correspond à la concentra-tion du pouvoir entre les mains d’un dirigeant « fort » qui prétend incarner à lui seul la volonté du peuple – quitte à bafouer les droits fondamentaux tels que la liberté des médias ou les principes démocratiques de base comme la séparation des pouvoirs – et qui prolonge son mandat au-delà de toute limite. Or, si les coups d’État sont habituel-lement l’expression la plus spectaculaire de l’autocratisation, la nouveauté est que son expansion actuelle au coeur même de démocraties se déroule plutôt de manière rampante et en se dotant d’une façade juridique.
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Démocratie en transition : les transformations sociétales
Le vocable « sociétal » est, à l’origine, un anglicisme qui a été admis dans la langue française, à partir des années 1970, dans le contexte d’une émancipation décisive des mœurs. Jusque là, les problèmes de la société semblaient relever surtout du traitement de la question sociale : l’émergence d’une modalisation de ces problèmes sous leur forme sociétale a été concomitante du rôle de plus en plus prégnant joué par la société civile. L’accent a alors été mis sur l’adaptabilité des différentes façons de « vivre à sa mode » un même problème, sur des usages innovants pour mener à bien son existence, plutôt que de se référer à une conception figée ou déterministe de la nature humaine, de la société ou de l’histoire. La loi sur l’IVG votée en 1975 a pu être considérée comme l’une des premières institutionnalisations d’une revendication sociétale formulée par les femmes qui avaient décidé de faire reconnaître leur droit à disposer de leur corps, en se faisant entendre à partir de la société civile. Plus proche de nous, la loi de 2013 autorisant le « mariage pour tous » tout comme aujourd’hui la loi sur la PMA témoignent de cette revendication persistante de réaménagements innovateurs des modes de vie, des manières d’être au sein de la société. Cependant, si la fonction des institutions est d’établir avant tout des régulations stabilisatrices pérennes fondées sur des représentations collectives de ce qui est censé être reconnu comme des comportements normalisés, il apparaît que la « normalisation » des transformations sociétales ne va pas immédiatement de soi en raison de leur labilité rétive à toute fixation dogmatique. L’expression des revendications sociétales met plutôt en porte-à-faux les institutions établies. A l’inverse, aucune vie sociale ne peut se passer d’institutions. Dès lors, la « transduction » institutionnelle des transformations sociétales peut apparaître à la fois comme un défi et une nécessité qui témoigne de l’appartenance à une société ouverte.
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