Les violences qui se sont produites en Grèce, l’an dernier, sont peut-être un signe avant-coureur de ce qui nous attend : une jeunesse tenaillée par le sentiment d’être sacrifiée et tentée d’exprimer de cette façon son désespoir. Les conséquences sociales de la crise financière et économique touchent en priorité les jeunes qui se trouvent de plus en plus en situation précaire 1. En outre, la dette publique s’est emballée avec la récession et représente plus de 77 % du PIB, en 2009, et bientôt 84 %, en 2010, sans parler du déficit public qui s’élève désormais à plus de 8 % du PIB : ces déficits abyssaux hypothèquent gravement l’avenir des prochaines générations et pèseront lourdement sur les épaules des plus jeunes au point de créer une situation explosive. Continuer la lecture de Le choc des générations aura-t-il lieu ?
La guerre aux corps intermédiaires
L’épisode du 22 janvier dernier, où le chef de l’État s’est livré à une charge contre les chercheurs, ne peut être interprété, malgré sa gravité, comme une simple remise en cause de l’Université française. Elle participe également d’une stratégie plus large qui vise la réputation des corps intermédiaires. Les exemples de désinvolture se sont multipliés à propos de l’école, de la justice, de l’hôpital, de comités d’éthique, etc. Xavier Darcos a regretté lui-même le « divorce avec les sachants ». Mais, si cette méthode politique provoque des crispations, elle peut séduire aussi, de manière démagogique, ceux qui y voient une revanche contre toute autorité intellectuelle ou compétence spécifique reconnue. Continuer la lecture de La guerre aux corps intermédiaires
Droits et devoirs de l’opposition en démocratie
La crise financière et économique constitue un tournant de notre histoire contemporaine, non seulement par sa nature, mais aussi par ses conséquences. Au-delà de la crise sociale qu’elle provoque, et qui touche dramatiquement les plus vulnérables, il faut prendre conscience de la crise morale qu’elle induit et surtout de la crise politique qu’elle est susceptible d’engendrer. Or, il n’est pas évident qu’un monde plus juste puisse spontanément s’élever sur les décombres du néo-libéralisme. La tentation du protectionnisme et de la fuite en avant devant les problèmes rencontrés peut favoriser la montée des nationalismes, des fanatismes et les risques de conflits. Au sein même de chaque État, la démocratie risque d’être fragilisée et menacée par la fascination qu’exerce la tentation autoritaire. C’est pourquoi chacun a pour devoir civique de se tenir sur ses gardes et de se montrer particulièrement vigilant. Continuer la lecture de Droits et devoirs de l’opposition en démocratie
Quand la ville fait monde…
La ville est apparue comme l’illustration par excellence de l’instauration d’un monde humain. Mais en perdant ses murs, la mégapole tentaculaire aurait rendu ses habitants orphelins de la cité. Au point de voir en elle la ville se défaire… L’expansion de l’urbain n’est-elle pas alors l’occasion de faire entendre l’exigence d’une redéfinition de la citoyenneté, prenant en compte l’être-au-monde des citadins ? À condition toutefois que les artefacts de la mégapole offrent suffisamment de dimension symbolique pour que les usagers puissent se la réapproprier et s’y retrouver. Car quand elle fait signe, la ville contemporaine favorise notre « aptitude au monde » et déploie des horizons plutôt que des frontières.
« J’aime à apprendre, vois-tu. Cela étant, la campagne et les arbres ne consentent à rien m’apprendre, mais bien les hommes des villes. » Socrate Continuer la lecture de Quand la ville fait monde…
Another falling wall : WALL STREET
En 1989, le mur tristement célèbre de Berlin s’effondrait annonçant la faillite du système soviétique dont la chute se produisit peu après. Dès lors, le néo-libéralisme triomphant crut pouvoir imposer son idéologie sur toute la planète, en se réclamant de la « révolution reaganienne ». Aujourd’hui, l’échec est retentissant. Nous avions, ici même, dénoncé les dérives de la spéculation financière qui témoignaient du fait que le capitalisme avait définitivement perdu l’esprit qui l’avait inspiré à l’origine. Aujourd’hui, un autre mur vacille : celui de Wall Street et, avec lui, une conception totalement irresponsable de la gestion économique et financière. Cet événement majeur corrobore ce que nous avons toujours dit : entre deux systèmes concurrents, ce n’est pas parce que l’un a démontré ses torts que l’autre peut prétendre avoir raison. À vingt ans d’intervalle, les deux ont montré leurs limites. Continuer la lecture de Another falling wall : WALL STREET
Où va la guerre ?
Aborder le thème de la guerre ne peut, à première vue, que mettre mal à l’aise : la façon dont on en parle ne revient-elle pas à justifier l’injustifiable ? Pourtant, s’interroger
sur les raisons que se donne la guerre permet aussi d’en mettre au jour les tenants et les aboutissants pour en cerner les métamorphoses et passer au crible ses alibis. Car nous
vivons une époque où la menace de guerre n’a pas vraiment régressé, même si elle ne dit plus vraiment son nom. Non seulement elle prend des formes techniques nouvelles, mais
la façon dont elle est aujourd’hui théorisée tend à occulter sa vraie nature. Continuer la lecture de Où va la guerre ?
Comment l’art rend l’espace plus hospitalier ?
Au risque d’apparaître provocateur, il s’agit ici d’aborder le paradoxe de l’inhospitalité de l’hôpital. Loin de nous l’idée que les personnels du milieu hospitalier accueilleraient mal les patients et leurs familles – chacun accordera que la plupart du temps leur professionnalisme et leur dévouement sont exemplaires -, mais pourtant l’hôpital en tant qu’institution instaure un espace spécifique qui est ressenti comme inhospitalier. Les raisons en sont diverses, mais elles conjuguent leurs effets. D’une part, l’hôpital apparaît comme une «hétérotopie de crise», un emplacement situé dans les marges de la société, parce qu’il concerne cette crise qui met hors jeu un individu et que l’on appelle la maladie. Personne ne «rentre» de gaieté de coeur à l’hôpital et chacun vit plutôt cette expérience comme une contrainte. D’autre part, cet espace qui se donne pour objectif de traiter cette crise qu’est la maladie, s’avère également inhospitalier du fait même de la rationalité médicale et administrative des moyens qu’il met en oeuvre pour accomplir sa tâche. Continuer la lecture de Comment l’art rend l’espace plus hospitalier ?
Politique, civilisation et religion
Invoquer la notion de civilisation a pu apparaître comme une manoeuvre de diversion, quand l’activisme politique régnant s’est heurté à la résistance des dures réalités économiques et sociales. Pourtant, il faut prendre au sérieux les déclarations qui ont alors été faites : « Depuis trop longtemps la politique se réduit à la gestion, restant à l’écart des causes réelles de nos maux, qui sont souvent plus profondes. J’ai la conviction que dans l’époque où nous sommes, nous avons besoin de ce que j’appelle une politique de civilisation ». Derrière l’appropriation sauvage d’une expression d’Edgar Morin, il faut y voir le désir d’imposer une révision des valeurs sur lesquelles repose notre société, une prétention à « revoir les fondamentaux sur des bases qui soient plus qualitatives que quantitatives » . L’instrumentalisation de la notion de civilisation renforce le soupçon de la menace d’une véritable régression idéologique. Continuer la lecture de Politique, civilisation et religion
Les limites du volontarisme politique
« Si je veux, j’ordonne ; ma volonté tient lieu de raison » : la formule en impose et illustre bien le volontarisme politique qui était censé servir de clef de voûte à la monarchie absolue. Mais celle-ci relevait, en réalité, du règne de l’imaginaire, puisque faire croire que le destin d’un pays puisse relever de la volonté d’un seul homme – fût-il le roi – revenait à entretenir la pire des superstitions. Pourtant, aujourd’hui, le volontarisme politique est de nouveau revendiqué comme une panacée. Que ce soit sur le plan économique ou politique – aller chercher la croissance économique « avec les dents », réaliser la rupture, etc. –, les « je veux » se multiplient, de manière obsessive, dans les discours officiels. Comme s’il suffisait de vouloir pour pouvoir… En proclamant que tout est possible, on commet un déni de réalité dangereux. Plus qu’une méprise sur la nature de l’action politique, ce volontarisme politique met au jour, jusqu’à la caricature, les travers de notre constitution actuelle. C’est pourquoi certains pointent une dérive vers une « monarchie élective ». Mais le volontarisme dont il est ici question ne fait-il pas planer une menace plus pernicieuse encore que celle d’une régression monarchique ? Continuer la lecture de Les limites du volontarisme politique
La valeur travail
« Travailler plus pour gagner plus » : ce qui fut un slogan de campagne électorale est devenu un dogme politique censé relancer l’économie de notre pays. Ainsi, sous la forme d’un adage présidentiel, la valeur travail serait de retour, non pas pour l’opposer à la financiarisation caractéristique du capitalisme contemporain qui permet de « gagner de l’argent en dormant », mais pour stigmatiser une France prétendument paresseuse et déclinante. Cette vision est d’autant plus injuste qu’un récent rapport du Bureau International du Travail montrait que le travail des Français est l’un des plus productifs du monde. Les suicides répétés pour raisons professionnelles, dans certaines grandes entreprises, témoignent de l’âpreté des exigences de production. En réalité, l’expression même de valeur travail est depuis longtemps ambiguë et propice aux confusions les plus grossières. Continuer la lecture de La valeur travail