Au risque d’apparaître provocateur, il s’agit ici d’aborder le paradoxe de l’inhospitalité de l’hôpital. Loin de nous l’idée que les personnels du milieu hospitalier accueilleraient mal les patients et leurs familles – chacun accordera que la plupart du temps leur professionnalisme et leur dévouement sont exemplaires -, mais pourtant l’hôpital en tant qu’institution instaure un espace spécifique qui est ressenti comme inhospitalier. Les raisons en sont diverses, mais elles conjuguent leurs effets. D’une part, l’hôpital apparaît comme une «hétérotopie de crise», un emplacement situé dans les marges de la société, parce qu’il concerne cette crise qui met hors jeu un individu et que l’on appelle la maladie. Personne ne «rentre» de gaieté de coeur à l’hôpital et chacun vit plutôt cette expérience comme une contrainte. D’autre part, cet espace qui se donne pour objectif de traiter cette crise qu’est la maladie, s’avère également inhospitalier du fait même de la rationalité médicale et administrative des moyens qu’il met en oeuvre pour accomplir sa tâche. Alors que l’institution de l’hôpital a relevé, à l’origine, d’un souci éthique fondé sur la foi religieuse, sa laïcisation moderne fut non seulement liée à sa prise en charge par l’Etat, mais aussi concomitante du pouvoir accordé à la raison pour maîtriser le monde. Michel Foucault a su pointer la relation entre l’avènement d’une conception abstraite et dominatrice de la raison dont l’initiateur fut Descartes et la construction de l’Hôpital général à Paris, en 1656 : elle inaugura, pour les fous, l’époque de l’intolérance et du «grand renfermement». Plus globalement, l’institution hospitalière a dû son essor au développement d’une rationalité technique certes efficiente, mais qui entraîne nécessairement une neutralisation de la dimension axiologique, c’est-à-dire de la question des valeurs. L’hôpital est devenu ainsi un enjeu de la biopolitique prenant en charge la population et se servant du savoir comme d’un pouvoir qui se polarise sur la question de l’utilisation rationnelle des moyens, au détriment parfois de celle de la compatibilité des fins.
Texte publié dans les Actes du Colloque Architecture – Hôpital – Art contemporain, organisé par le Centre hospitalier régional universitaire (CHU) de Lille à l’Institut Gernez Rieux, les 25 et 26 novembre 2004.