Miser sur la recherche scientifique pour percer les énigmes du réel ne peut apparaître que salutaire, puisque c’est tourner le dos à l’obscurantisme et au mysticisme irrationnel. Mais les progrès accomplis dans la recherche peuvent nourrir eux-mêmes une confiance exagérée dans les pouvoirs de la science. Prétendre que les sciences pourraient se substituer à tout autre forme de savoir culturel — aussi bien métaphysique que philosophique, artistique, littéraire, etc. — conduit à une conception étroite de la rationalité. Ainsi en est-il du scientisme qui, sous prétexte de s’en tenir à une approche strictement scientifique des problèmes, alimente le réductionnisme. Continuer la lecture de Un « mythe rationnel » sur la science : le scientisme
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Un mythe rationnel : la « société de la connaissance »
En 2000, l’objectif de la stratégie de Lisbonne – fixé par le Conseil Européen – prétendait « faire de l’Union européenne l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010 ». Depuis, il est de bon ton de caractériser notre époque comme celle de la « société de la connaissance ». Sous l’effet du développement des technologies de l’information et de la communication, la circulation intense et très largement distribuée de données et d’informations permettrait de faciliter la transmission et la création de savoirs. Pourtant, l’objectif fixé pour 2010 par le Conseil Européen ne fut jamais atteint. Bien plus, parler de « société de la connaissance » aujourd’hui revient à entretenir un mythe rationnel qui nous rend aveugle à une réelle montée de l’ignorance.
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De la post-politique à la pré-politique
La critique de la post-politique est désormais un passage obligé pour ceux qui, dans la « gauche radicale », veulent en finir avec la « démocratie libérale ». Dans L’illusion du consensus, Chantal Mouffe a prétendu fournir un argumentaire de fond pour étayer cette dénonciation du « Zeitgeist post-politique » : en l’occurrence, la recherche du consensus en démocratie, au-delà du clivage entre droite et gauche. Or, cette recherche du consensus est l’objet de critiques convergentes de la part de l’extrême droite… Paradoxalement, les références théoriques invoquées par C. Mouffe entretiennent cette tendance au confusionnisme idéologique. Bien plus, en stigmatisant la post-politique, ses analyses justifient plutôt une régression dans la pré-politique.
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Repenser la métaphysique : renouveau théorique et apport pragmatique
Dans son ouvrage Qu’est-ce que la métaphysique ? , Alain Cambier réinvestit une notion souvent déconsidérée, aussi bien par le positivisme scientiste que par les partisans du relativisme. Toutefois, parce que l’homme demeure spécifiquement un être en quête de sens, la métaphysique s’avère indispensable autant à la théorie qu’à l’action, puisqu’en assurant le « dépli ontologique du sens » elle vise à fonder notre univers de significations et contribue à éclairer la conduite humaine.
Par Charles CAPET, Professeur de philosophie.
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Où est le peuple ?
Après le Brexit, l’élection de Donald Trump, la démission de Mateo Renzi, la montée des extrémismes nationalistes, la période historique dans laquelle nous vivons est volontiers présentée comme « la revanche des peuples ». Pourtant, il s’agit plutôt du triomphe de la démagogie « populiste » 1, de la flatterie des impulsions les plus inavouables et des préjugés les plus étroits. Il n’y a peut-être pas de notion plus confuse et plus galvaudée que celle de « peuple ». À tel point que l’on peut se demander si cette notion renvoie à une quelconque réalité référentielle.
Sur la post-vérité: journal « Le Monde » 21/01/2017
Tribune supplément idées « Le Monde » (page 6) : Parce qu’elle témoigne d’une dénégation pathologique des faits, la post-vérité est le creuset de tous les négationnismes. Continuer la lecture de Sur la post-vérité: journal « Le Monde » 21/01/2017
Au nom de la sécurité
Face à la montée des menaces terroristes, l’exigence de sécurité est devenue aujourd’hui obsessive. Or, la peur est ambivalente : elle peut être le commencement de la sagesse, mais aussi mauvaise conseillère, surtout quand elle tourne à la paranoïa. Nos sociétés contemporaines offrent incontestablement des conditions de sécurité et de sûreté bien supérieures à celles qui caractérisaient les sociétés antérieures. Pourtant, un éthos défensif de plus en plus exigeant s’exprime au cœur même des démocraties. L’obsession de la sécurité fait courir elle-même de graves menaces, surtout lorsqu’elle est instrumentalisée par les pouvoirs politiques.
Réfugiés sans refuge
Un mot a pris une telle place dans l’actualité qu’en lui-même il fait déjà figure d’invasion : « Migrants ». Un mot faussement neutre constitué d’un participe présent, comme s’il s’agissait d’un phénomène impersonnel cyclique : déplacement cinématique d’une multitude sur une carte ou flux indéterminé qui pourrait s’appliquer aussi bien aux animaux qu’aux humains. Mais surtout un mot qui nomme mal. Or, « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde ». Dans un article consacré aux réfugiés, Olivier Rey avait opposé la figure des « migrants » à celle des « manants » : « Que la détresse des migrants ne serve pas à faire honte aux manants de leur propre désarroi ». Il n’en reste pas moins que l’errance des migrants a été le révélateur de nos propres erreurs. Continuer la lecture de Réfugiés sans refuge
Démocratie et raison d’Etat
La question de la compatibilité de la raison d’État avec la démocratie a souvent été posée et Charles Pasqua avait même soutenu que « la démocratie s’arrête là où commence la raison d’État ». On pourrait croire qu’avec l’affaiblissement du rôle joué par les institutions politiques le recours à la raison d’État puisse apparaître désormais obsolète. Mais, le repli apparent des États sur leurs fonctions régaliennes tend à faire revenir au premier plan cette question. Bien plus, le contexte de crise géopolitique et économique, auquel s’ajoutent les attaques terroristes, contribue à justifier de nouveau son invocation. Cependant, même lorsqu’elle se réclame des meilleures intentions, il serait naïf de penser que la raison d’État ne peut constituer un risque pour la démocratie.
La collusion des négationnistes
En 1978, Robert Faurrisson était apparu comme le théoricien du négationnisme, en prétendant que les chambres à gaz n’avaient pas existé. Or, depuis le développement d’internet, nous assistons à une véritable invasion de thèses négationnistes, au point de transformer les réseaux sociaux en « poubelle de l’information ». Lors des attentats terroristes commis contre Charlie hebdo, ces esprits pernicieux ont redoublé d’ardeur, allant jusqu’à nier les crimes commis, pour n’y voir, par exemple, qu’une manipulation de services secrets ! Autant d’aveuglement peut susciter le mépris, mais cette propagande est si délétère qu’il faut en démonter les mécanismes et en mettre au jour les ressorts. Continuer la lecture de La collusion des négationnistes