Archives de catégorie : Les Nouvelles d’Archimède

Revue culturelle de l’Université Lille 1

Abus de la loi

Dans son dernier rapport annuel sur l’application des lois, le Sénat a souligné que, sur les cinquante-neuf lois promulguées au cours de la session 2009 du Parlement, seules trois avaient reçu l’intégralité de leurs textes d’application. Pour les dix-huit lois qui ont été votées avant le 31 mars 2010, et nécessitant un suivi réglementaire, à peine sept ont été intégralement mises en application. Nous assistons à une progression exponentielle du nombre de lois, mais celles-ci deviennent de plus en plus difficilement applicables : le problème n’est pas seulement celui du manque de temps qui force le travail législatif à s’effectuer dans l’urgence. Confrontés aux situations concrètes et soumis à l’exigence de cohérence du droit, les décrets d’application peuvent difficilement être pris. Ainsi, le recours à une loi nouvelle – souvent annoncée pompeusement – s’avère condamné à rester lettre morte. À trop vouloir légiférer, l’esprit même des lois est trahi.  Continuer la lecture de Abus de la loi

Les « cœurs intelligents »

Juillet-août 2010 resteront dans nos annales comme un « été meurtrier » pour les valeurs de la République mises à mal par les dérives sécuritaires d’un pouvoir politique qui, sous prétexte de capter l’électorat du Front National, n’a pas hésité à mettre en pratique son idéologie. Les plus hauts représentants de l’État ont tenu des discours et des actes qui, non seulement, banalisaient, amplifiaient, mais aussi officialisaient les aveuglements extrémistes, au risque d’activer de plus belle les pulsions racistes en France et d’encourager certains pays d’Europe dans leurs replis nationalistes. Le comble est que, pour se justifier, cette politique a été menée en s’en prenant aux « coeurs intelligents » au nom du prétendu irréalisme de la bien-pensance et des bons sentiments…  Continuer la lecture de Les « cœurs intelligents »

Repenser Montesquieu

Critique de mon livre Montesquieu et la liberté par Charles Capet :

Dans Montesquieu et la liberté, Alain Cambier propose une lecture novatrice et audacieuse de De l’Esprit des lois, où est posée la question de la forme légitime de la pratique du pouvoir politique pour garantir à chacun l’exercice réel de sa liberté. En effet, la liberté apparaît comme la clef de voûte de l’État moderne et son analyse comme principe fondamental de légitimité devient « le véritable tenseur tectonique qui commande la mise au jour d’enjeux originaux ».  Continuer la lecture de Repenser Montesquieu

La boîte de Pandore

En ces temps de crise socio-économique et de risques écologiques, un observateur étranger serait très surpris de constater qu’en France les autorités les plus hautes ont mis au premier plan la question de l’identité nationale. Préfectures et sous-préfectures ont été sommées de mobiliser les forces vives de la nation pour réaffirmer « la fierté d’être français ». Un tel débat, organisé artificiellement d’en haut, a pourtant été considéré – même par Martin Hirsch – comme « une opération 100 % politique ». Il ne peut que susciter une grave inquiétude puisqu’il agite des thèmes idéologiques propices au développement de l’intolérance.  Continuer la lecture de La boîte de Pandore

Le choc des générations aura-t-il lieu ?

Les violences qui se sont produites en Grèce, l’an dernier, sont peut-être un signe avant-coureur de ce qui nous attend : une jeunesse tenaillée par le sentiment d’être sacrifiée et tentée d’exprimer de cette façon son désespoir. Les conséquences sociales de la crise financière et économique touchent en priorité les jeunes qui se trouvent de plus en plus en situation précaire 1. En outre, la dette publique s’est emballée avec la récession et représente plus de 77 % du PIB, en 2009, et bientôt 84 %, en 2010, sans parler du déficit public qui s’élève désormais à plus de 8 % du PIB : ces déficits abyssaux hypothèquent gravement l’avenir des prochaines générations et pèseront lourdement sur les épaules des plus jeunes au point de créer une situation explosive.  Continuer la lecture de Le choc des générations aura-t-il lieu ?

La guerre aux corps intermédiaires

L’épisode du 22 janvier dernier, où le chef de l’État s’est livré à une charge contre les chercheurs, ne peut être interprété, malgré sa gravité, comme une simple remise en cause de l’Université française. Elle participe également d’une stratégie plus large qui vise la réputation des corps intermédiaires. Les exemples de désinvolture se sont multipliés à propos de l’école, de la justice, de l’hôpital, de comités d’éthique, etc. Xavier Darcos a regretté lui-même le « divorce avec les sachants ». Mais, si cette méthode politique provoque des crispations, elle peut séduire aussi, de manière démagogique, ceux qui y voient une revanche contre toute autorité intellectuelle ou compétence spécifique reconnue.  Continuer la lecture de La guerre aux corps intermédiaires

Droits et devoirs de l’opposition en démocratie

La crise financière et économique constitue un tournant de notre histoire contemporaine, non seulement par sa nature, mais aussi par ses conséquences. Au-delà de la crise sociale qu’elle provoque, et qui touche dramatiquement les plus vulnérables, il faut prendre conscience de la crise morale qu’elle induit et surtout de la crise politique qu’elle est susceptible d’engendrer. Or, il n’est pas évident qu’un monde plus juste puisse spontanément s’élever sur les décombres du néo-libéralisme. La tentation du protectionnisme et de la fuite en avant devant les problèmes rencontrés peut favoriser la montée des nationalismes, des fanatismes et les risques de conflits. Au sein même de chaque État, la démocratie risque d’être fragilisée et menacée par la fascination qu’exerce la tentation autoritaire. C’est pourquoi chacun a pour devoir civique de se tenir sur ses gardes et de se montrer particulièrement vigilant.  Continuer la lecture de Droits et devoirs de l’opposition en démocratie

Another falling wall : WALL STREET

En 1989, le mur tristement célèbre de Berlin s’effondrait annonçant la faillite du système soviétique dont la chute se produisit peu après. Dès lors, le néo-libéralisme triomphant crut pouvoir imposer son idéologie sur toute la planète, en se réclamant de la « révolution reaganienne ». Aujourd’hui, l’échec est retentissant. Nous avions, ici même, dénoncé les dérives de la spéculation financière qui témoignaient du fait que le capitalisme avait définitivement perdu l’esprit qui l’avait inspiré à l’origine. Aujourd’hui, un autre mur vacille : celui de Wall Street et, avec lui, une conception totalement irresponsable de la gestion économique et financière. Cet événement majeur corrobore ce que nous avons toujours dit : entre deux systèmes concurrents, ce n’est pas parce que l’un a démontré ses torts que l’autre peut prétendre avoir raison. À vingt ans d’intervalle, les deux ont montré leurs limites.  Continuer la lecture de Another falling wall : WALL STREET

Où va la guerre ?

Aborder le thème de la guerre ne peut, à première vue, que mettre mal à l’aise : la façon dont on en parle ne revient-elle pas à justifier l’injustifiable ? Pourtant, s’interroger
sur les raisons que se donne la guerre permet aussi d’en mettre au jour les tenants et les aboutissants pour en cerner les métamorphoses et passer au crible ses alibis. Car nous
vivons une époque où la menace de guerre n’a pas vraiment régressé, même si elle ne dit plus vraiment son nom. Non seulement elle prend des formes techniques nouvelles, mais
la façon dont elle est aujourd’hui théorisée tend à occulter sa vraie nature. Continuer la lecture de Où va la guerre ?

Politique, civilisation et religion

Invoquer la notion de civilisation a pu apparaître comme une manoeuvre de diversion, quand l’activisme politique régnant s’est heurté à la résistance des dures réalités économiques et sociales. Pourtant, il faut prendre au sérieux les déclarations qui ont alors été faites : « Depuis trop longtemps la politique se réduit à la gestion, restant à l’écart des causes réelles de nos maux, qui sont souvent plus profondes. J’ai la conviction que dans l’époque où nous sommes, nous avons besoin de ce que j’appelle une politique de civilisation ». Derrière l’appropriation sauvage d’une expression d’Edgar Morin, il faut y voir le désir d’imposer une révision des valeurs sur lesquelles repose notre société, une prétention à « revoir les fondamentaux sur des bases qui soient plus qualitatives que quantitatives » . L’instrumentalisation de la notion de civilisation renforce le soupçon de la menace d’une véritable régression idéologique.  Continuer la lecture de Politique, civilisation et religion