L’actualité de Mai 68

Faut-il liquider l’héritage de Mai 1968 ? La question est au coeur des débats puisque l’actuel président de la République en avait fait un thème majeur de sa campagne : « l’héritage de Mai 68 a introduit le cynisme dans la société et dans la politique », déclara-t-il. Pourtant, le même s’évertue à appeler de ses voeux un « Grenelle du développement durable » : on peut vouloir en « finir » avec cette époque et y puiser malgré tout ses références… Plus globalement, la critique de Mai 68 relève d’un rejet des « sixties » dont se prévaut le néoconservatisme, pour exalter a contrario des valeurs d’autorité et le refus du relativisme moral. Cependant, la lecture qu’il propose de ce qui s’est passé en 1968 apparaît souvent caricaturale. Rejeter cet héritage renvoie, en réalité, à une stratégie de « révolution idéologique » aux accents rétrogrades.  Continuer la lecture de L’actualité de Mai 68

Hannah Arendt : la part de l’art dans la constitution d’un monde commun d’apparence

Que l’art puisse participer à l’édification d’un monde humain est une idée qu’Hannah Arendt a repensée dans Condition de l’homme moderne. S’il est vrai que l’apparence comme manifestation est la seule voie d’accès à l’Être, l’art nous y initie puisqu’il a vocation à déployer entre l’artiste et son public un espace commun d’apparence. L’éclat des œuvres d’art contribue à garantir l’objectivité de notre monde parce qu’elles sont destinées traditionnellement à se maintenir durablement dans l’espace public. Mais certains ont cru s’autoriser d’Hannah Arendt pour condamner l’art contemporain au motif qu’il se fourvoierait dans l’éphémère. Continuer la lecture de Hannah Arendt : la part de l’art dans la constitution d’un monde commun d’apparence

Démocratie : du peuple à la multitude

L’accusation de populisme est devenue la pire injure politique. S’il s’agit de stigmatiser la démagogie, elle apparaît alors la bienvenue. Cependant, elle est aussi devenue une notion fourre-tout qui vise à amalgamer tout ce qui ne serait pas politiquement correct. Ainsi, vouloir s’affranchir de la langue de bois, dire non au TCE, dénoncer la vie chère en pointant le rôle joué par le passage à l’euro, manifester dans la rue contre le CPE, etc. : toutes ces prises de position sont désormais dénoncées comme des formes de populisme. Mais loin de régler les problèmes, cette accusation témoigne surtout de la façon dont certains sont pris à contre-pied dans leurs analyses. Comme si les catégories dont ils usaient se montraient inaptes à rendre compte d’une réalité en pleine mutation qui brouille les repères établis. En premier lieu, la notion de peuple, qui avait longtemps servi de moyen de légitimation politique, apparaît en crise. L’accusation de populisme serait donc le symptôme du désarroi de ceux qui s’aperçoivent que la réalité échappe à la catégorie fondamentale dans laquelle ils voulaient penser l’essence de la politique. Pour le meilleur ou pour le pire, la multitude concrète reprend ses droits sur l’abstraction « peuple ».  Continuer la lecture de Démocratie : du peuple à la multitude

Capitalisme et cage d’acier

Depuis l’effondrement du communisme soviétique, il est devenu incongru de dénoncer les excès du capitalisme, comme si l’échec d’un système pouvait mettre l’autre au-dessus de tout soupçon. Pourtant, des critiques virulentes s’élevent aujourd’hui de l’intérieur même des rouages du système pour en stigmatiser les dérives. Le capitalisme contemporain a laissé se développer des fonds de gestion spéculatifs – hedge founds – dont le montant des capitaux a doublé en cinq ans au point d’influencer directement la politique des plus grandes entreprises. Or, comme ils manquent singulièrement de transparence, procèdent à coups d’emprunts et fonctionnent de manière totalement dérégulée, ces nouveaux monstres de puissance font désormais courir un risque fatal à l’ensemble des places financières. Ainsi, le capitalisme financier actuel est menacé par sa propre logique. Mais les effets pervers de ce néo-capitalisme ne sont pas seulement économiques, ils sont également culturels…  Continuer la lecture de Capitalisme et cage d’acier

De la lutte des classes à « la lutte des lieux » : sortir la politique de la ville de l’impasse

Voici un an que des émeutes urbaines ont éclaté en France. Les propos volontairement provocateurs et réducteurs d’un « ministre d’Etat » et la mort tragique de deux adolescents – électrocutés en fuyant un contrôle de police – avaient embrasé les banlieues. L’instauration d’un état d’urgence pendant plusieurs semaines ne pouvait permettre de traiter en profondeur la crise du monde urbain. Stigmatiser les banlieues revient à adopter une politique de borgne. Car, comme l’a souligné Eric Maurin, si nous assistons aujourd’hui à une ghettoïsation du monde urbain, celle-ci s’effectue beaucoup plus par le haut que par le bas : « Les ghettos les plus fermés sont les ghettos des riches ». Aussi serait-il vain de prétendre lutter contre la ghettoïsation par le bas, en s’aveuglant sur celle qui résulte d’une véritable stratégie d’évitement de l’Autre, conduisant à un séparatisme social et culturel.  Continuer la lecture de De la lutte des classes à « la lutte des lieux » : sortir la politique de la ville de l’impasse

Un quinquennat pourquoi ?

Dans un an, le premier quinquennat de la Vème République prendra fin. Voulue en 2002 par le premier ministre de l’époque et acceptée du bout des lèvres par le chef de l’Etat, cette réforme institutionnelle prétendait officiellement mettre plus de cohérence rationnelle dans l’exercice du pouvoir politique. Il est vrai que, dans le cadre d’une constitution ménageant peu de place aux contre-pouvoirs, le peuple avait trouvé, depuis 1986, le moyen de mettre en application à sa façon le grand principe de Montesquieu selon lequel le pouvoir doit arrêter le pouvoir pour garantir la liberté : faire cohabiter ensemble des forces politiques opposées. Certes, l’expédient trouvé pouvait présenter des défauts, mais il témoignait également de la prudence du peuple face à une constitution qui fait la part trop belle au pouvoir de la personne censée incarner la répu- blique. Il faut aujourd’hui se demander si le remède choisi pour rendre plus efficace l’exercice du pouvoir n’est pas pire que le mal.  Continuer la lecture de Un quinquennat pourquoi ?

La crise de la social-démocratie

Quand le mur de Berlin tomba en 1989 et que le système soviétique s’effondra peu après, l’échec du communisme à l’Est apparut alors incontestable. Historiquement, ce bouleversement géopolitique donna raison aux héritiers réformistes et démocrates de Jaurès et de Kautsky contre les partisans d’une conception si dogmatique du socialisme qu’elle avait mené au totalitarisme. Or, cet événement ne permit pas au socialisme démocratique d’en tirer profit : non seulement nous avons assisté à l’émergence d’un ultralibéralisme conquérant, mais découvert que la social-démocratie se révélait incapable d’opposer une quelconque résistance au processus de globalisation économique et à ses effets pervers. Qu’ils soient désormais encore au pouvoir ou dans l’opposition, les partis sociaux-démocrates brillent par leur perte d’identité et leur impéritie relève autant d’idées fausses que d’une absence patente d’idées.  Continuer la lecture de La crise de la social-démocratie

Echec à la médiacratie

Si le résultat du référendum du 29 mai dernier a pu surprendre, il paraissait pourtant objectivement prévisible. Déjà, le traité de Maastricht n’avait été approuvé, dans notre pays, que par une très courte majorité, et depuis tout concourait à enrayer la machine européenne : la grave stagnation économique de la zone euro, l’irresponsabilité avec laquelle avaient été effectués les derniers élargissements, les contradictions politiques majeures qui s’étaient manifestées entre les différents pays membres, etc. Or, le texte proposé en guise de constitution était loin de pouvoir relever le défi. Alors qu’il entretenait l’imprécision dans la définition des droits fondamentaux, il se voulait vétilleux dans sa volonté d’entériner des traités économiques qui avaient déjà montré leurs effets pervers. Bien plus, il substituait au projet d’une Europe de coopération sincère un principe interne de « concurrence non faussée » entre européens : drôle de constitution qui, au lieu de garantir une identité politique de l’Europe susceptible d’assurer sa puissance dans un monde multipolaire, tendait avant tout à donner des gages à la logique de la globalisation économique ! Un tel texte ne pouvait que cristalliser toutes les frustrations. Pour tenter néanmoins de le faire passer, les plus grands moyens médiatiques ont été mis en oeuvre : son rejet a signé aussi l’échec de la médiacratie.  Continuer la lecture de Echec à la médiacratie

L’actualité de la SHOAH

L’année 2005 restera marquée par la solennité avec laquelle a été célébré le soixantième anniversaire de la libération des camps nazis. Loin d’appartenir à un passé révolu, la découverte de l’horreur du génocide perpétré au coeur de l’Europe continue de produire ses effets et nous n’en fi nissons pas de mesurer l’ampleur de la monstruosité qu’a été le nazisme. Malgré les tentatives des négationnistes, le temps écoulé souligne plutôt le caractère incomparable, indélébile et imprescriptible de ce crime absolu. Il a été aussi le temps nécessaire pour construire la mémoire de ce Trauma de l’histoire qu’il nous faut totalement assumer si nous voulons de nouveau aller de l’avant. Car il nous éclaire sur la tournure que pourrait prendre notre histoire future.  Continuer la lecture de L’actualité de la SHOAH

La constitution européenne : un ovni de droit public ?

En 2005, nous serons sollicités pour avaliser ou non un projet de « Traité établissant une Constitution pour l’Europe ». Le coeur de la plupart d’entre nous a battu au rythme de la construction européenne : hantés par le fait que notre continent puisse avoir été, au XXème siècle, le théâtre de deux guerres mondiales et le berceau du totalitarisme génocidaire, nous y avons investi nos espérances de paix durable comme nos rêves d’une puissance politique capable d’ouvrir une voie nouvelle et de faire pièce à la superpuissance américaine. Mais si elle a permis le rapprochement entre des peuples qui furent longtemps ennemis, la construction européenne semble s’être effectuée également en creusant une distance entre ses instances de décision et les populations, engendrant ainsi un sentiment de déception. Aussi faut-il s’interroger sur la nature du projet qui nous sera soumis, pour savoir s’il est en mesure de pallier cette dérive ou s’il l’aggrave.  Continuer la lecture de La constitution européenne : un ovni de droit public ?