La culture comme ultime ressource

Dans Notre musique – le dernier film de Jean-Luc Godard -, Mahmoud Darwich rappelle qu’il a manqué un poète aux Troyens : un anti-Homère, un aède qui aurait chanté la gloire des vaincus, plutôt que de n’en garder le souvenir qu’à travers le récit de l’aventure des Achéens. Le poète palestinien veut souligner combien la culture permet à la fois de témoigner et de résister. Un peuple peut perdre un combat, une guerre, parfois même son pays, mais tant qu’il arrive encore à se dire culturellement, il ne pourra disparaître : il restera inexterminable. Son chant est capable de surmonter les humiliations et d’ouvrir de nouveaux horizons. La culture demeure l’ultime ressource des vaincus, des exclus, des damnés de la terre.  Continuer la lecture de La culture comme ultime ressource

Ne nous voilons pas la face !

Dans le passé, notre pays a payé un lourd tribut au fanatisme religieux. L’Etat a eu pour rôle essentiel de mettre fin à la violence induite par les aveuglements de la foi. D’une manière générale, la religion est souvent apparue comme un facteur de régression sociale : la femme a été particulièrement victime des préjugés entretenus par la Bible. Pourtant, faire du voile une affaire d’Etat peut sembler à la fois disproportionné et déplacé. L’accès à l’instruction devrait être considéré comme prioritaire pour espérer voir des jeunes filles s’émanciper. Il ne faudrait pas qu’en s’agitant autour d’un foulard nous passions à côté de problèmes plus profonds. Le recours à la loi n’entretient-il pas la confusion entre légalité et légitimité ? Ne prend-on pas le risque de répondre à l’intolérance par une autre intolérance – fût-elle républicaine ?  Continuer la lecture de Ne nous voilons pas la face !

De la providence à la nécessité aveugle

« La vie n’est pas l’affaire des politiques » : la formule est heureuse, si elle signifie que chacun doit rester maître de sa destinée ; mais dans la bouche d’un chef de gouvernement qui se réclame du libéralisme, elle renvoie à une idéologie politique dont l’objectif est de limiter l’interventionnisme de l’Etat. Pour la logique libérale, l’émancipation des individus suppose que l’on cesse de compter sur le rôle providentiel de l’Etat. Pourtant, il ne s’agit peut-être encore ici que d’un mirage : moins d’Etat ne signifie pas mécaniquement plus de libertés individuelles. Loin d’être une idéologie de la liberté, le néo-libéralisme sert plutôt à justifier notre soumission à la nécessité aveugle de la mondialisation économique.  Continuer la lecture de De la providence à la nécessité aveugle

Henri Maldiney et la dimension pathique de l’existence

La philosophie fait souvent de l’ataraxie – c’est-à-dire de l’absence de trouble – le modèle même de la sagesse. Dès lors, les émotions seraient discréditées puisqu’elles nous perturbent et nous trahissent. Pourtant, l’originalité de Maldiney consiste au contraire à montrer que l’absence d’émotions serait plutôt un symptôme morbide. Il serait réducteur de faire de l’émotivité un simple trait de caractère plus ou moins partagé comme lorsqu’on parle de quelqu’un d’impressionnable : la disposition aux émotions est la marque, au contraire, de notre être-au-monde. De même, distinguer laborieusement l’émotion du sentiment et de la passion risque de manquer l’essentiel : l’émotion révèle notre affectivité et celle-ci constitue une attitude existentielle primordiale.  Continuer la lecture de Henri Maldiney et la dimension pathique de l’existence

Le nouvel ordre planétaire : l’empire postmoderne

Il est toujours difficile de lire dans le présent l’avenir qui se dessine. Car les hommes sont la plupart du temps plongés dans l’histoire sans savoir ce qu’ils font. La solution de facilité pour se repérer consiste à aller chercher des paradigmes du passé pour s’en servir comme grille de lecture des événements qui nous arrivent : on se condamne alors au psittacisme intellectuel. Pour sortir de cette impasse, nous disposons pourtant d’un précieux outil : il s’agit de l’ouvrage intitulé Empire, écrit par Antonio Negri et Michael Hardt, publié en 2000. Ces derniers s’emploient à penser le processus de constitution du nouvel ordre politique planétaire, en concomitance avec la mondialisation du capitalisme. La réalisation du marché mondial et la péréquation générale des taux de profit à l’échelle de la planète ne sauraient être le simple résultat de facteurs économiques, financiers ou monétaires : elles supposent une transformation des relations politiques, sociales et culturelles.  Continuer la lecture de Le nouvel ordre planétaire : l’empire postmoderne

La représentation en question

La désaffection vis-à-vis de la politique telle qu’elle est menée aujourd’hui se traduit par une méfiance accrue vis-à-vis de ceux qui prétendent agir au nom du peuple. Les prérogatives qu’ils s’accordent volontiers semblent d’autant plus contestables qu’elles sont souvent proportionnelles à l’impuissance dont ils font preuve pour traiter les problèmes institutionnels, sociaux et économiques rencontrés par les citoyens. En un mot, le peuple ne se reconnaît plus dans ses représentants. La défiance qui s’est installée condamne même certains à entreprendre des actions spectaculaires et désespérées pour défendre leurs intérêts. Bien plus, des forcenés n’hésitent pas à user de la violence aveugle contre des élus pris pour des boucs-émissaires. Il serait pourtant naïf de ranger ces phénomènes dans la rubrique des faits divers : ils constituent le symptôme d’un malaise grandissant. De tels comportements criminels ne peuvent que jeter l’effroi et souligner l’ampleur d’un malentendu. Car, la représentation est une procédure fondamentale de l’action politique. Prétendre s’en passer ne pourrait entraîner qu’une régression vers des méthodes nihilistes. Il s’agit donc de faire la part des choses entre ceux qui aspirent à redonner du sens à la représentation et les irresponsables qui prétendent jeter le bébé avec l’eau du bain. Il faut cesser de considérer la représentation comme un blanc-seing accordé à quelques-uns, mais en même temps repenser les fondements de sa légitimité. Continuer la lecture de La représentation en question

La crise de la politique institutionnelle

Tout indique, depuis les dernières consultations électorales, que la politique institutionnelle subit une crise aiguë. La désaffection qu’elle provoque se vérifie à la fois par la tentation de la contourner en votant aux extrêmes et surtout par l’abstention de plus en plus massive qu’elle suscite. A cela, il faut ajouter la défaite systématique des majorités sortantes, depuis vingt ans, qui confirme que les partis politiques qui incarnent les institutions semblent voués à l’échec. Il serait pour autant démagogique de voir dans ces phénomènes un rejet global de la politique au sens large. Voter pour un parti extrêmiste consiste le plus souvent à donner un sens protestataire à l’exercice de son droit civique ; s’abstenir volontairement et massivement de participer à une élection nationale doit être également interprété comme un événement politique qui témoigne de la crise de la représentation ; rejeter une majorité sortante correspond évidemment à une sanction politique significative. Aussi, ces trois phénomènes convergents ne sont pas le symptôme d’une nécessaire dépolitisation des citoyens, mais plutôt l’expression du rejet d’une certaine façon d’exercer la politique : en l’occurrence, celle de la politique institutionnalisée ou de la politique qui s’identifie avec les institutions.  Dès lors, derrière la prétendue crise de la politique, il nous faut plutôt discerner une crise plus profonde des institutions elles-mêmes.  Continuer la lecture de La crise de la politique institutionnelle

Les limites du souverainisme

La mondialisation provoque à juste titre des craintes. Pour éviter que celle-ci se réduise à n’être que la suprématie de la puissance américaine sur l’ensemble de la planète, certains misent sur la construction de pôles économiques et politiques – comme l’Europe – capables de contrebalancer la seule superpuissance qui domine désormais le monde. Mais d’autres sont tentés par des solutions de repli plus archaïques : tel le souverainisme. Tirant son origine de l’organisation de nations s’excluant les unes les autres, il repose sur le culte de la puissance de l’Etat. Oubliant que son histoire a été marquée par la légitimation de la violence au nom de prétendus intérêts supérieurs, il veut se refaire aujourd’hui une virginité politique. Il nous faut pourtant rappeler ici qu’il n’offre qu’une conception réductrice de la politique et que l’identification qu’il établit entre la liberté et la souveraineté n’est qu’une mystification.  Continuer la lecture de Les limites du souverainisme

Le dépérissement de la raison d’état

Au nom de la raison d’Etat, les droits des personnes peuvent être bafoués impunément. La politique ne peut retrouver sa crédibilité qu’en s’abstenant désormais de s’y référer. Mais s’agit-il d’une simple variante de l’abus de pouvoir ou d’une dérive propre à l’Etat lui-même ? La propension de ce dernier à prétendre détenir le monopole de la raison contre les individus paraît de moins en moins supportable. Car le citoyen a ses raisons que l’Etat ne peut plus se permettre d’ignorer.  Continuer la lecture de Le dépérissement de la raison d’état

Partis, associations et démocratie

L’engouement pour la vie associative contraste paradoxalement avec la crise de confiance dont souffrent actuellement les partis politiques. Faut-il y voir le symptôme d’une vaste dépolitisation des citoyens ou plutôt la preuve qu’une certaine conception de la politique a fait son temps ? Si les partis politiques suscitent aujourd’hui autant de méfiance, les « affaires » n’en sont pas la seule raison. Le mal est plus profond : il révèle que le modèle d’une démocratie verticale est en train de péricliter. La vitalité des associations est le signe, en revanche, de l’aspiration à une démocratie horizontale.  Continuer la lecture de Partis, associations et démocratie