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Le complotisme est un mal endémique en temps de pandémie

Publié le 19 avril 2020 dans Le Monde

A l’ère de la post-vérité, il n’est pas étonnant de voir fleurir le conspirationnisme, mais quand s’ajoute à ce contexte une crise sanitaire majeure, les thèses complotistes resurgissent avec encore plus de virulence. Le complotisme est un mal endémique en temps de pandémie.

Le confinement favorise l’expression des théories les plus délirantes sur les réseaux sociaux qui deviennent le refuge d’un monde parallèle uni par une défiance maladive. Ainsi, une pandémie atteint non seulement les corps, mais aussi les esprits, en les rendant alors incapables de discriminer le vrai et le faux. Lutter contre ce mal que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a appelé « infodémie » peut s’avérer cependant aussi difficile que le combat contre un virus inconnu.

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La parole est-elle totalement libre dans l’espace public ?

Est-il légitime de s’exprimer sans retenue dans l’espace public ? Sous prétexte de liberté d’expression, peut-on justifier l’injure publique et les propos diffamatoires dans les réseaux sociaux ou dans certains médias complaisants ? Dans son dernier ouvrage, Olivier Beaud met en garde : «Aucune liberté n’est absolue; toute liberté rencontre des limites, y compris la liberté d’expression». Car souvent, à travers les personnes visées par la violence verbale, ce sont les institutions républicaines elles-mêmes qui se trouvent menacées, au nom d’une conception populiste de la démocratie. Mais inversement, vouloir fixer des limites ne revient-il pas à instaurer un délit d’opinion? La République peut-elle se défendre sans trahir ses principes?

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L’ère de la défiance généralisée

Fakes news et bullshitting témoignent que le temps de l’exigence de vérité semble désormais révolu, au point que la discrimination entre le vrai et le faux serait devenue superflue. Ce renoncement sape non seulement notre confiance dans le progrès des connaissances, mais porte atteinte également aux critères qui nous permettent de nous orienter dans l’existence en tant qu’homme et citoyen. Mais les régressions irrationnelles induites par les partisans de la post-vérité sont le symptôme d’un malaise profond : nous sommes entrés dans l’ère de la défiance généralisée. Personne ne veut plus faire confiance à personne, ni même en la reconnaissance d’une réalité objective. Cette méfiance systématique fait désormais les beaux jours d’un relativisme et d’un scepticisme nihilistes.

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Les mirages de la démocratie directe

Dans son dernier ouvrage , François Dubet souligne que les exaspérations individuelles qui ne trouvent pas d’expression politique nourrissent les mouvements populistes. La révolte des « gilets jaunes » a confirmé ce sentiment déprimant qu’éprouvent de nombreux citoyens d’être méprisés et relégués… Quand la représentation politique ne joue plus son rôle, les « passions tristes » se transforment en cris de colère jusqu’à s’exprimer dans la violence. Mais la crise de la représentation à laquelle nous assistons aujourd’hui justifie-t-elle de renoncer à tout principe de représentation ?

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Les nouveaux réseaux de l’obscurantisme

Il est de bon ton de proclamer que notre époque est celle de la « société de la connaissance ».  Pourtant, parler de « société de la connaissance » revient aujourd’hui à entretenir des illusions sur nos performances cognitives, au point de nous rendre aveugle à une réelle montée de l’ignorance. Certes, sous l’effet du développement des technologies de l’information et de la communication, la circulation intense et très largement distribuée de données et d’informations semble devoir permettre de faciliter la transmission et la production de savoirs. Depuis la découverte de l’imprimerie, nous avons effectivement assisté à une deuxième révolution fondamentale dans la mise à disposition de moyens techniques sophistiqués pour diffuser les connaissances et cette diffusion  pourrait sembler assurer une croissance intelligente de nos sociétés. Mais il est loin d’être avéré que l’usage qu’en font actuellement les  réseaux sociaux puisse constituer une garantie contre la persistance de l’inculture. Au contraire, ces derniers tendent à devenir des fabriques de l’ignorance, voire les nouveaux vecteurs de l’obscurantisme.

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Épistocratie versus démocratie ?

L’épistocratie est un néologisme qui désigne le pouvoir de ceux qui détiennent le savoir. Pourtant, cette notion  a, en réalité, une origine ancienne, puisqu’elle vient du grec épistémè qui désigne la compétence de celui qui s’y connaît :elle contribue à fonder, dans La République de Platon , une théorie de la kubernésis politique comme science du pilotage, en vue d’établir un gouvernement raisonné de la Cité. Dans ce contexte, l’amalgame entre épistocratie et technocratie ne peut être que réducteur : si la technocratie repose sur une optimisation rationnelle de la gestion de moyens, l’épistocratie renvoie à une rationalité fondée sur des valeurs, à la fois de savoir et de sagesse prudente. Sous sa forme moderne, l’épistocratie relève plutôt du courant de la « bonne raison d’État » inauguré par Botero et Palazzo, au XVIIème siècle. Est-il pour autant légitime d’opposer radicalement épistocratie et démocratie ?

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Un « mythe rationnel » sur la science : le scientisme

Miser sur la recherche scientifique pour percer les énigmes du réel ne peut apparaître que salutaire, puisque c’est tourner le dos à l’obscurantisme et au mysticisme irrationnel. Mais les progrès accomplis dans la recherche peuvent nourrir eux-mêmes une confiance exagérée dans les pouvoirs de la science. Prétendre que les sciences pourraient se substituer à tout autre forme de savoir culturel — aussi bien métaphysique que philosophique, artistique, littéraire, etc. — conduit à une conception étroite de la rationalité. Ainsi en est-il du scientisme qui, sous prétexte de s’en tenir à une approche strictement scientifique des problèmes, alimente le réductionnisme. Continuer la lecture de Un « mythe rationnel » sur la science : le scientisme